Une journée typique dans l’atelier s’entame avec le départ des enfants pour l’école. Le silence s’installe et les idées fluctuent au gré des émotions et inspirations du moment. Cette période est sacrée, café à la main, je médite en admirant l’arbre qui pousse sous ma fenêtre, un jeune frêne solide et résistant. Les arbres m’ont toujours inspiré la force et la sagesse depuis que je suis toute petite. De la fenêtre de ma chambre je contemplais l’exubérance des épinettes et la souplesse du mélèze. Cette capacité qu’ils ont de survivre aux intempéries de dame nature m’inspire, comme s’ils étaient amusés par le vent et les tempêtes.
Carnet et crayon m’accompagnent dans cette contemplation pour prendre au vol ces pensées qui surgissent de cet espace. Parce que l’inspiration est comme un champ magnétique où voyage un flow d’idées constant, sans interruption. Ces idées sont disponibles à tous, sans discrimination, mais encore faut-il être réceptif et sensible à sa fréquence. Quand l’inspiration surgit, qu’on la saisit au vol, il faut lui donner vie en la matérialisant, sans cela, elle quittera et trouvera un autre preneur. Je noircis donc carnet après carnet de ces idées éclaires qui ne verront peut-être jamais le jour mais que j’aurai au moins considérées le temps de les coucher sur papier.
Mais pour qu’une idée prenne vie, qu’elle s’enracine, il ne s’agit pas uniquement de la contempler, il faut l’arroser, la sortir de l’ombre et la mettre en terre fertile. Concrètement, en atelier ce que ça représente c’est l’expérimentation de cette idée sous toutes ses angles. D’abord, faire le deuil de cette vision parfaite est indispensable parce que le rendu ne sera jamais à la hauteur du rêve. Je me laisse donc surprendre par ce qui émerge de cette étincelle originale, promut à la transformation. Il serait souvent plus simple d’abandonner et de libérer cette idée naissante qui ne répond pas à mes attentes. Mais l’abandonner sans l’avoir suffisamment étudié serait plus destructeur que libérateur. J’ai expérimenté à quelques reprises cette voie de la facilité et ça n’a rien de formateur, au contraire, c’est irritant et décevant à long terme.
Par contre, il faut savoir reconnaître quand une idée est assez exploitée ou quand elle doit encore être nourrit. Le temps fait souvent bien les choses. Quand je rencontre un blocage créatif, avant de tout jeter par-dessus bord, je m’en distance quelques jours ou quelques semaines. À mon retour, mon regard a changé et j’y vois de nouvelles avenues. Une autre façon pour moi d’aborder les obstacles en création est de sortir prendre l’air, une randonnée en forêt fait souvent bien des miracles! Mais parfois il m’arrive d’abandonner une toile et de la reprendre seulement des mois plus tard. Alors qu’une nouvelle intention surgit, je masque l’idée originale sous une couche fraîche de peinture ou un collage. Mais cette première inspiration aura entraîné la seconde et ainsi de suite, rien n’est perdu, tout se transforme.
L’inspiration est à mon avis l’essence même de qui nous sommes, c’est ce qui rend l’expérience humaine si diversifiée, innovante et unique. Elle se vit au quotidien dans toutes les sphères de notre vie, nul besoin d’être un artiste pour l’exploiter. Lorsqu’on est soudainement inspiré d’emprunter un nouveau chemin pour se rendre au travail le matin, de tenir la porte et dire bonjour à un inconnu ou encore de cuisiner un nouveau plat au souper, sont tous là des manifestations de l’inspiration. Une journée sans inspiration est une journée maussade et déprimante qui se traduit souvent par le jugement de l’autre, la fatigue et les douleurs chroniques, des habitudes de vie malsaines et de l’apitoiement. Rien qui ne puisse être propice à la création d’une vie inspirée!
Il m’arrive parfois de terminer une journée de travail avec ce sentiment d’amertume et de déception qui m’accompagnent sur mon trajet jusqu’à l’école des enfants. Dans ma voiture, je repense à ma journée et très souvent je réalise à quel point j’étais déconnecté de mon être et combien j’étais concentré à faire du beau. Ces jours-là débutent souvent dans un état d’urgence et d’impatience, sans prendre le temps de ressentir ce que l’inspiration avait à m’offrir ce matin-là, vite remplacé par un esprit qui pense beaucoup trop. Je me retrouve donc face à une toile ou un texte vide de sens qui ne me plait pas du tout, duquel je n’ai aucun sentiment d’accomplissement.
Quand cet état m’accompagne jusque dans ma vie personnelle, ceux que j’aime n’ont malheureusement pas droit à la meilleure version de moi-même. D’où l’importance de me reconnecter à l’inspiration en étant bien présente à être et ressentir avant de penser et faire. Je le fait d’abord et avant tout pour mon propre bien-être mais aussi celui de mon entourage. Le bien collectif commence chez soi, dans notre propre corps et esprit. J’ose croire que cette façon d’être à laquelle j’aspire est perceptible dans mon art et l’ensemble de mes actions. Peu importe où et quand vous cueillerez l’inspiration, laissez-lui la chance de vous transformer quelques instants, une simple idée peut parfois engendrer de grandes transformations.