Depuis que je peins et dessine des portraits, l’inspiration me vient principalement de figures féminines. Toutes ces femmes qui m’ont précédé, dans ma famille mais aussi dans le milieu artistique, politique et parfois même de personnages issues de légendes. Quand je pense à la vie de ces femmes, une énergie créatrice m’envahit et le besoin de connaître et de raconter leurs histoires naît. Leurs vécus m’interpellent parce qu’ils éveillent quelque chose en moi, une force ou une blessure qui demande à s’exprimer. À l’image d’un fil invisible qui unit toutes les femmes, je rembobine l’histoire afin de la mettre en lumière et honorer sa force.
La femme a depuis longtemps réprimée sa voix et son pouvoir dans l’histoire de l’humanité, il est temps que nous lui redonnions ses droits et sa noblesse. Tout commence par l’éducation et l’exemple que nous donnons quotidiennement à nos enfants, surtout à nos jeunes garçons. En leur enseignant le respect des femmes qu’ils côtoient, afin qu’ils grandissent avec une perception différente de celles de leurs ancêtres. De sorte qu’il n’est plus aucun signe de dominance d’un sexe sur l’autre. En tant qu’artiste, il n’a pas meilleure façon pour moi de faire briller la femme en illustrant sa beauté et sa qualité de guerrière dans toute sa force et sa détermination. Ainsi, j’enseigne à mon garçon et ma fille la puissance de notre héritage féminin et la liberté d’être soi, peut importe notre sexe. Je suis fière d’être une femme et j’ai la chance de vivre à une époque où il y a de plus en plus place aux changements, à l’expression, à la dénonciation d’injustices, à l’équité et la réalisation de nos rêves.
Mes plus beaux portraits ne sont pas nécessairement ceux qui sont les mieux réussis d’un point de vue technique mais ceux qui ont engendré une réaction émotive chez quelqu’un. Être témoin de ces moments, confirme le bienfait que l’art peut apporter en ce monde et c’est là le fondement de ma pratique. Mais pour parvenir à éveiller cette sensibilité, il me faut être dans un état d’authenticité et de vulnérabilité constant lorsque je crée. Être près de mes émotions fait partie de mon quotidien et sans cela, mon travail s’en trouve dénaturé. Ce que j’estime être l’une des plus grandes qualités que possède la femme, sa sensibilité émotionnelle. Même si la charge émotive vécue à travers une œuvre (visuelle, musicale, littéraire, etc) diffère d’un observateur à l’autre, elle se vit en chacun de nous. Ce qui varie est notre interprétation teinté à travers les lunettes de notre vécu, notre bagage émotionnel, nos blessures et nos souvenirs.
Animé par une curiosité insatiable et un amour profond de l’histoire de mes ancêtres, j’accorde une valeur particulière à dessiner les portraits de ma grand-mère et arrières grand-mères maternelles. Ces femmes qui ont brodé leurs vies, non pas dans la soie mais dans le canevas brut, ont un savoir à me transmettre qui contribue à trouver les couleurs de ma propre toile. Avec ma mère, c’est trois générations de femmes ont façonnée la matrice de ma vie, avec l’empreinte unique de chacune. Même si je n’ai jamais connu mon arrière-grand-mère, beaucoup de choses ce sont révélées à moi en dessinant son portrait. Une femme de peu de mots, m’a-t-on dit, l’émotion était pourtant difficile à contenir sous mon crayon qui glissait aveuglement.
Certains liens sont si étroits entre nous toutes qu’on ne sait plus exactement ce qui appartient à qui. En dépiquant le portrait de l’une, j’ose tirer délicatement sur l’un de ces liens et remonter le fil du temps. Ma mère, talentueuse couturière, a su m’aider à rapiécer les trous en recousant les morceaux de ses souvenirs. Tandis que la mémoire de ma grande tante, a su raviver la couleur là où le temps avait fait son oeuvre. Sans elles, la toile n’aurait pas pu être aussi bien raccommodée. Ma grand-mère, que j'appelais affectueusement mamie, était une couturière prodigieuse qui a vêtit plusieurs mariées de la tête aux pieds, chez elle dans son atelier de couture. Sans le savoir, elle a ouvert le chemin de la vie d’artiste que je vis aujourd’hui. Alors que ma mère, également artiste dans l’âme, a fait le choix de dédier une grande partie de sa vie à la maternité avant de se consacrer à son art.
Chaque femme à sa façon bien unique de vivre sa passion selon des raisons bien personnelles. Nous devons nous arrêter de temps à autre et nous retourner pour contempler le chemin parcourut, pas seulement le nôtre mais aussi ceux de nos prédécesseurs, si riche en enseignements. L’exercice de peindre ces figures dans lesquelles je me reconnais physiquement et au-delà, m’a fait vivre toute une gamme d’émotions. J’ai pleuré, j’ai ri, j’ai écouté ce qu’elles avaient à me dire, tout ces non-dits, ces secrets, ces blessures qu’elles portent. Mais après le passage de cette lourde vague émotive s’ensuivit une chaleureuse étreinte emplie d’amour, de force et de bienveillance. À l’image de la guerrière, cette force issue d’une souffrance, d’un combat, et parfois de la résilience rend l’âme féminine si puissante qu’elle ne peut m’inspirer qu’à l’honorer.
Ce fil qui nous unit toutes, comme s’il n’avait ni début ni fin, tisse des décennies d’entrelacements qui créent l’étoffe de toutes celles qui m’ont précédé. S’il était possible de rencontrer aujourd’hui chacune de ces femmes, je serais bordé d’un riche mélange de fibres maternelles. Les plus faibles s’insérant entre les plus fortes, les plus rudes enveloppant les plus douces afin de les protéger. Cette étoffe colorée fait d’un mélange indicible d’elles et de moi, met en lumière toute une lignée maternelle qui aujourd’hui me raccommode avec ma vie de femme. Elles me lèguent l’héritage de la liberté d’être soi en apprenant à mieux me connaître à travers leurs histoires.