Malobiannah
 

 
 
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L’art du portrait est pour moi d’abord et avant tout, l’expression d’une histoire qui va bien au-delà de la représentation graphique du sujet.  Quand je me sens interpellé par un personnage, je cherche à comprendre ce qui a suscité mon intérêt, qui se cache véritablement sous ce regard, quelles furent ses joies, ses souffrances.  S’entame une recherche documentaire et une collecte de banque d’images, bien qu’une part intuitive me guide dans ce processus, je consacre beaucoup de temps à rassembler toute information furtive.  Les photos sont une source de référence indispensable, elles sont si évocatrices du vécu, de la personnalité, des souvenirs disparus tant elles parlent d’elles-mêmes.  Mais que faire lorsque le sujet est de nature légendaire, issu de notre imaginaire collectif, c’est le défi auquel j’ai dû faire face avec le personnage de Malobiannah. 

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La légende de Malobiannah est l’une des plus belles légendes de ma région natale.  Cette histoire me fascine et m’inspire depuis que je suis toute petite et a nourrit mon imaginaire à travers nombreux projets artistiques.  Ceci est le plus récent hommage que je lui ai rendu, alors que son âme s’est exprimée à quelques reprises dans ma vie soit par la danse, l’horticulture ou la peinture, j’y trouve encore un grand plaisir à la personnifier.  Laissez-moi donc vous raconter brièvement l’histoire de cette jeune amérindienne dont le courage a inspiré le tableau ici-bas.

Malobiannah, jeune femme mythique issue d’une légende appartenant au peuple autochtone malécites, qui à l’époque vivait sur les berges du grand fleuve Woolastook (bonne rivière), soit la rivière St-Jean au Nouveau-Brunswick, à l’embouchure de la rivière Madawaska (rivière du Porc-Épic).  Cette tribu nomade et pacifique, était installée sur le territoire du Petit Sault (aujourd’hui ville d’Edmundston) sous les conseils du grand sachem des malécites, le chef Pemmyhaouet. Malobiannah, présumée fiancée du fils de Pemmyhaouet, et son peuple vivaient dans cette bourgade fortifiée d’épaisses palissades à l’abri de leur ennemi juré, les Iroquois.

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Mais le malheur s’abattit sur eux lorsque, descendu à bord de leurs canots d’écorce de bouleaux, les Iroquois envahirent la bourgade et semèrent l’effroi en brûlant habitations et tuant nombreuses victimes au passage, dont le fils du chef.  Avare de poursuivre leur vague d’assaut chez les malécites établis dans la vallée inférieure mais dont ils ignorent la navigation, ils emmenèrent avec eux la jeune Malobiannah captive, en guise de guide sur les eaux de la bonne rivière.  La nuit tombée, ils attachèrent donc leurs canots d’écorce ensemble et se laissèrent emporter par le courant sous l’unique garde de la jeune amérindienne qui pleurait son fiancé et les malheurs de sa nation.

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Épuisés de leur récente attaque, les guerriers s’endormirent rapidement jusqu’à ce qu’un bruit sourd les sortes de leur sommeil.  Inquiets, ils demandèrent à leur guide la source de ce grondement.  La jeune malécite les rassurèrent d’un ton calme mais rapidement, le grondement s’amplifia, le courant des chutes Chicanekapeag (géant destructeur) entraîna la flottille avec force vers l’abîme, malgré leurs efforts pour s’en extirper.  Tombé sous le piège de la jeune fille résolut à sacrifier sa vie pour venger les siens et sauver ses frères, l’armée d’Iroquois horrifiée fut entraînée directement dans le gouffre et disparut dans les chutes meurtrières.  Certain raconte qu’au moment de sa descente dans le précipice, Malobiannah se serait transformée en oiseau qui s’envola sous un cri de victoire alors que tous périrent. 

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Inévitablement, cette histoire a depuis nourri la créativité de plusieurs artistes de la région, en chansons, en contes et sculptures de bois et végétales.  L’âme de Malobiannah est partout dans la vallée du Madawaska, elle habite chacun d’entre nous et ne cessera d’exister tant que nous lui offrirons un passage.  Pour qu’une légende subsiste dans le temps, il faut à mon avis que les gens puissent s’identifier d’une façon quelconque aux personnages, aux lieux ou aux valeurs qu’elle véhicule.  Pour ma part, j’y vois la force et le courage d’une femme prête à tout pour protéger la liberté et la survie de son peuple.  Mais j’y vois aussi la vengeance, la colère, la tristesse et le désespoir d’une femme meurtrie par son ennemi.  Son geste est honorable et digne d’une héroïne mais ne négligeons pas qu’il s’agit aussi d’un geste empreint de violence.

Malobiannah24 x 20” Mixmedia 2020.

Malobiannah

24 x 20” Mixmedia 2020.

Malgré l’absence de références visuelles pour supporter l’illustration des traits de la jeune amérindienne, j’ai tenté de personnifier son âme sur toile, à travers mon regard.  Ainsi, l’illustration et le texte présentés ici ne prétendent pas faire objet de référence officielle mais il s’agit plutôt de l’interprétation artistique d’une légende.  Dans mes recherches, j’ai découvert que plusieurs versions de la légende de Malobiannah circulaient, la version sur laquelle je me suis fondée est présentée dans le document Histoire du Madawaska¹, cité ici-bas.  J’espère que mon adaptation aura servi à transmettre son histoire une fois de plus, afin qu’elle subsiste dans le temps.


¹ ALBERT, Thomas, Prudent MERCURE et Patrick THERRIAULT.  Histoire du Madawaska, Québec, Imprimerie Franciscaine Missionnaire, 1920. p. 12-14.

 
 
 

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